Savoir
ce qui se passe au-dessus des nuages est un vieux rêve de
savant ; Blaise PASCAL, en envoyant son beau-frère Florin
PERRIER au sommet du Puy-de-Dôme avec un tube de Toricelli
le 19 septembre 1648, initiait les recherches en altitude et fournissait
l'instrument pour mesurer cette dernière : l'altimètre.
Avant 1800
Le 3 août 1787 Horace-Bénédict de SAUSSURE
profite de son ascension du Mont-Blanc pour en mesurer la hauteur
et la température d'ébullition de l'eau mais, déjà
en 1783, il a été un des premiers scientifiques
à voir l'intérêt des ballons pour l'exploration
de l'atmosphère et le prouve en participant à la
souscription recueillie pour aider les frères Montgolfier.
Tout comme les membres de l'Académie royale des sciences
chargés d'examiner la Machine aérostatique qui pronostiquaient
dans leur rapport de 1783 [03] :
"...L'aérostat
pourra être employé encore dans beaucoup d'usages
pour la Physique, comme pour mieux connoître les vîtesses
& les directions des differens vents qui soufflent dans l'atmosphère,
pour avoir des électroscopes portés à une
hauteur beaucoup plus grande que celle où on peut élever
des cerf-volans ; enfin, comme nous l'avons déjà
dit, pour s'élever jusque dans la région des nuages,
& y aller observer les météores..."
ce à quoi ajoutait, en 1784, l'astronome Pierre Charles
Le MONNIER, également académicien [12] :
"Le vulgaire s'est
fort occupé jusqu'ici des moyens de multiplier à
l'infini l'art de diriger les aérostats ; mais quelques
génies plus perçants ont proposé de lancer
les aérostats à ballons perdus, garnis de baromètres
et de thermomètres, afin de reconnaître, par cette
voie l'état des parties les plus élevées
de notre atmosphère : déjà sont indiqués
les moyens de reconnaître les termes que le mercure aura
parcouru dans ces tubes à l'aide d'un fil d'or plongeant
dans la graduation d'un baromètre renversé à
deux colonnes ; déjà nous connaissons d'autres
moyens industrieux pour les thermomètres qui indiqueraient
les degrés de froid de la partie la plus élevée
de notre atmosphère."
On ne parlait pas encore de ballons-sondes, mais l'idée
était déjà en l'air...
Entre 1800 et 1890
Le 19e siècle
est celui de l'utilisation du ballon monté (monté
par un ou plusieurs aéronautes) pour effectuer des mesures
en altitude. Jusqu'en 1783, le ciel était le royaume exclusif
des animaux volants, oiseaux et insectes (sans oublier les chauves-souris),
le savant n'avait alors que son imagination pour essayer de comprendre
la formation des nuages et des vents, et si les premiers voyageurs
du ballon à air chaud étaient un mouton, un canard
et un coq, c'était aussi parce qu'on ne savait pas si la
vie serait possible là-haut. Rien d'étonnant à
ce que "beaucoup de savants se soient faits aéronautes
pour étudier ce qui passe dans les hautes régions
de l'atmosphère" comme le constate Emile-Alix
DURAND GRÉVILLE en 1893 [11].
Jean-François PILATRE de ROZIER était
physicien mais il avait bien d'autres choses à penser lors
de son premier vol qu'à faire des mesures en altitude et
la physique qu'il enseignait était plutôt du genre
spectaculaire. Jacques CHARLES, physicien également mais
plus tourné vers la théorie et l'expérimentation,
emportait un baromètre et un thermomètre dans sa
nacelle en osier. Il réalisait ainsi la première
ascension scientifique de l'Histoire mais ses instruments étaient
lourds, fragiles et nécessitait qu'un observateur lise
et transcrive les valeurs mesurées. Il faudra attendre
les années 1890 pour que des appareils enregistreurs à
la fois robustes, légers et précis soient mis au
point.
Les ascensions à but scientifique sont nombreuses
pendant tout ce siècle : Jean-Baptiste BIOT et Joseph-Louis
GAY-LUSSAC en 1804, Jean-Augustin BARRAL et Jacques Alexandre
BIXIO en 1850, John WELSH et Charles GREEN en 1852, James GLAISHER
et Henry COXWELL en 1862... Mais chaque expérience est
très coûteuse et n'est pas sans risque pour les explorateurs
des très hautes altitudes, certains l'ont payé de
leur vie, comme Joseph CROCÉ-SPINELLI et Théodore
SIVEL qui, le 15 avril 1875 meurent asphyxiés lors d'une
ascension à plus de 8600m en compagnie de Gaston TISSANDIER
; par chance ce dernier survivra et témoignera.
Alors que la fréquence des vols de ballons
montés à but scientifique diminuent en France, dans
les années 1870 à 1890, sont construits en haute
montagne des observatoires et des stations météorologiques
comme ceux du Puy de Dôme en 1876, du Säntis (HB) et
du Ventoux (F) en 1882, du Pic du Midi (F) en 1886 pour ne parler
que des stations de l'Europe de l'Ouest. Mais les besoins d'informations
sur l'état de l'atmosphère pour permettre le développement
de la météorologie, comme le précise Camille
FLAMMARION en 1868, et les interrogations relatives aux altitudes
supérieures à 10000m, au-delà des possibilités
de survie de l'homme-aéronaute, sont toujours là.
L'idée d'utiliser des "ballons perdus",
n'est pas perdue. En 1873 Claude JOBERT, lors d'une séance
de la Société française de navigation aérienne,
propose l'utilisation de ballons non montés portant des
appareils enregistreurs. Cette idée, il la ressort en décembre
1892, après que Gustave HERMITE et Georges BESANÇON
aient lancé avec un succès indéniable une
série de petits ballons emportant des instruments encore
rudimentaires ; et il prétend en gros que, si on l'avait
écouté vingt ans avant, ses camarades SIVEL et CROCÉ-SPINELLI
ne seraient pas morts... En fait, cette idée n'est pas
seulement la sienne puisque, comme l'objecte le même jour
W. de FONVIELLE [15], Urbain LEVERRIER et lui-même l'avait
déjà exposée vers 1867 ; si cette idée
n'avait pas encore été mise en application, c'est
que les craintes de ne jamais retrouver un petit ballon et l'absence
d'instruments enregistreurs à la fois bon marché,
légers, robustes et de grande qualité l'ont découragé,
lui et tous ceux qui avaient encore les yeux tournés vers
les ballons montés et qui goûtaient volontiers le
plaisir de s'élever dans les airs [05].
Premiers ballons-sondes
Gustave
HERMITE et Georges BESANÇON,
tout deux amis et aéronautes, rêvaient de développer
ensemble un projet important dans le domaine de l'aéronautique.
Après avoir renoncé à un voyage d'exploration
en ballon au-dessus de l'Arctique avec pour but de survoler le
Pôle Nord, il ont entrepris de mettre au point un ballon
non monté capable d'emporter (et surtout de ramener au
sol en bon état) un appareil enregistreur de la pression
et de la température. En bref : mettre en application l'idée
des JOBERT, FONVIELLE et autres théoriciens, en prenant
le taureau par les cornes.
Passer à l'acte, en 1891-1892, consiste à
vérifier d'abord les chances pour un ballon perdu d'être
retrouvé dans la nature par un quidam et de pouvoir utiliser
les enregistrements effectués. La série d'expériences
menées en 1892 a permis de lever des doutes sur plusieurs
points :
- un ballon de petite taille peut atteindre les hauteurs supérieures
à 10000m
- les instruments emportés ont de fortes chances d'être
intacts après l'atterrissage
- une grande proportion de nacelles peuvent être retrouvées
rapidement après leur chute dans la campagne.
Voir la page : Les premiers ballons-sondes,
par BESANÇON et HERMITE (1892)
Les enseignements tirés de ces premiers essais
vont permettre aux deux associés de passer à l'étape
suivante : le lâcher de véritables petits laboratoires
volants : les aérophiles.
L'Aérophile et les aérophiles
L'Union aérophile de France, dont Georges
BESANÇON dirige le magazine associatif l'Aérophile,
soutient le projet "Exploration de la Haute Atmosphère"
de Gustave HERMITE. Ce dernier est plutôt chargé
de l'aspect scientifique de l'opération : conception et
mise au point des enregistreurs en collaboration avec le célèbre
fabricant d'instruments de mesure Jules Richard, exploitation
des données, analyse de la trajectoire du ballon... tandis
que BESANÇON s'occupe plutôt des questions d'organisation
ou de réalisation du ballon.
Le premier aérophile a été lâché
le 21 mars 1893, il est retombé à Chamvres (89).
Il a été suivi par neuf autres dont certains ont
participé aux expériences internationales pour l'étude
de la haute atmosphère. On ne parlait pas encore de stratosphère, cette région
qui ne sera identifiée comme telle qu'au début du
siècle suivant.
Voir la page : Les "Aérophiles",
ballons-sondes des années 1890
Les premières expériences internationales
Les premiers essais de BESANÇON et HERMITE
ne sont pas passés inaperçus. Les météorologistes
allemands qui étudiaient alors l'atmosphère à
l'aide de ballons montés (c'est à dire emportant
les savants et leurs instruments de mesure) leur ont rapidement
emboîté le pas avec leur ballon-sonde nommé
Cirrus. Mais l'étude
du mouvement des masses d'air ne pouvait avoir de sens qu'en pratiquant
simultanément sur une vaste région (de plusieurs
centaines de kilomètres de diamètre) des mesures
simultanées. Tous y avaient songé mais l'initiative
est venue de Richard Assmann en juin 1896 et, dès le 14
novembre 1896, débutait la série des ascensions
internationales (ballons-sondes et ballons montés).
Voir la page : Les ascensions
internationales 1896-1900
Léon TEISSERENC de BORT et son observatoire à
Trappes
Après avoir quitté
le Bureau Central météorologique en 1892 parce qu'il
y manquait d'air, TEISSERENC de BORT fonde un Observatoire
de Météorologie dynamique dans sa propriété
de Trappes (78) dont il finance la constrution et le fonctionnement
sur sa fortune personnelle. Dès 1896 il est en mesure d'effectuer
les observations courantes d'une station météorologique
mais aussi de photographier les nuages et d'envisager à
la fois les sondages par ballons-sondes (à partir du 7
avril 1898) et par cerfs-volants. Bien sûr les travaux des
précurseurs que sont HERMITE et BESANÇON lui ont
permis de développer des méthodes et des matériels
optimisés pour passer rapidement à un stade opérationnel
où l'expérimentation concerne surtout la chose à
mesurer : l'atmosphère. C'est ainsi que le 8 juin 1898,
à l'occasion de la quatrième expérience internationale,
l'observatoire lâchait trois ballons dont deux ont effectué
leur ascension en pleine nuit de façon à limiter
les perturbations dues au rayonnement solaire.
Figure ci-contre : lâcher de ballon à
l'Observatoire de Trappes en 1906 (CPA, collection privée)
Le 21 décembre 1903, quand il reçut
le prix ESTRADE-DECROS, le directeur de l'Observatoire de Trappes
avait lâché en cinq ans un total de 840 ballons-sondes
dont 380 s'étaient élevés à plus de
13000m, 234 à plus de 14000m et 89 avaient dépassé
15000m. Si la plupart des enveloppes avaient été
perdues, la grande majorité des nacelles (96%) avaient
été retournées à Trappes par les découvreurs
(une petite prime les y encourageait...).
Les observations par cerfs-volants avaient l'avantage
d'être plus économiques et de fournir des résultats
quasi en temps réel, il n'était pas nécessaire
d'attendre plusieurs jours pour voir revenir l'enregistreur
comme dans le cas d'un vol de ballon-sonde. Par contre l'altitude
atteinte dépassait rarement 5000m et si par malheur le
câble de retenue cassait, les accidents pouvaient être
graves comme ce fut le cas le 9 septembre 1899, quand le câble
d'acier de 6km, traîné par la grappe de cerfs-volants
poussée par le vent, provoqua courts-circuits et perturbations
dans la zone de chute [07]. Le nom de "ballon-sonde"
On trouve le terme de ballon-sonde dans le
numéro de mai 1875 de l'Aéronaute. Théodore
SIVEL l'utilise pour désigner un dispositif ingénieux
constitué de deux petits ballons captifs attachés
à une perche horizontale qui, fixée sur la nacelle
d'un aérostat, les éloigne du ballon principal qui
soulève cette dernière. L'un des petits ballons
est gonflé au gaz d'éclairage et monte, l'autre
est rempli d'air et retombe. Comme les ficelles qui les retiennent
tous deux sont longues de 400m, il suffit d'observer la position
de chaque ballon pour connaître la direction et la force
du vent au-dessus et en dessous de l'aérostat. Le rôle
de ces "ballons-sondes" comme les nomme SIVEL est plutôt
celui de "ballons-pilotes captifs".
Dans le sens qu'on lui connaît maintenant, le mot
ballon-sonde était déjà couramment
utilisé dans la séance du 15 décembre 1892
de la Société Française de Navigation Aérienne
[05], Charles Denis LABROUSSE pense que l'expression a été
utilisée pour la première fois par l'ingénieur
aéronaute Gabriel YON et fait remarquer que SIVEL l'utilisait
dans le sens décrit plus haut. Dans sa note intitulée
Sur l'emploi des ballons non montés à l'exécution
d'observations météorologique à très
grande hauteur, présentée le 12 décembre
1892 à l'Académie, le commandant RENARD désigne
l'objet de son projet aussi bien par sonde aérienne
que par ballon-sonde. Dans le premier numéro de
l'Aérophile, HERMITE utilise aussi le terme de "ballon
explorateur" [11]. En 1898, un petit article publié
dans La Nature, utilise le terme de ballon enregistreur
pour désigner les ballons-sondes allemands ; il s'agit
simplement de la traduction de Registrirballon, mot allemand
remplacé maintenant par Wetterballon.
Le terme de radiosonde, forgé a priori
par Robert BUREAU vers 1930, est issu de celui de ballon-sonde.
Un "radio-ballon-sonde", en quelque sorte, construction
lexicale de genre masculin qui explique peut-être que le
mot radiosonde ait été masculin avant de changer
de genre quelques années plus tard.
Bibliographie, sources et notes
01 : La navigation aérienne - Joseph Louis LECORNU
- 1903 - (Gallica-BnF)
02 : Histoire de la météorologie - Alfred FIERRO
- Ed. Denoël - 1991
03 : Rapport fait à l'Académie royale des sciences
par MM. Leroy, Tillet, Brisson, Cadet, Lavoisier, Bossut, de Condorcet
et Desmarest. 1783 (Gallica-BnF)
04 : Compte-rendu de la séance du 3 décembre 1873
dans l'Aéronaute 1874-02 - (Gallica-BnF)
05 : Compte-rendu de la séance du 15 décembre 1892
de la Société Française de Navigation Aérienne
publiée dans l'Aéronaute 1893-02 - (Gallica-BnF)
06 : L'invention du ballon-sonde - Michel ROCHAS - La Météorologie
- 2003
07 : L'atmosphère - Olivier E. ALLEN - Time Life
08 : Comptes-rendus hedomadaires des séances de l'Académie
des sciences - (Gallica-BnF)
09 : L'exploration des hautes régions de l'atmosphère
par Ch.-E. GUILLAUME - La Nature, revue des sciences - 05/12/1892
10 : Les ballons-sondes de MM. HERMITE et BESANÇON et les
ascensions internationales - Wilfrid de FONVIELLE - Gauthiers
Villard - 1898
11 : L'exploration de la Haute Atmosphère par Gustave HERMITE
- L'Aérophile n°1-2-3 de 1893
12 : L'Aéronaute, n° de mars 1900 -
13 : Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l'Académie
des sciences, séance du 13/07/1868 - (Gallica-BnF)
14 : Leçons sur la navigation aérienne par Lucien
MARCHIS - Dunod 1903 (Gallica/BM de Bordeaux)
15 : Wilfrid de FONVIELLE (1826-1914), journaliste et écrivain,
vulgarisateur scientifique prolifique et aéronaute. Président
de l'Union Aérophile de France en avril 1894 quand le portrait
ci-dessus a été dessiné pour le Journal
des voyages (L'aérophile, n° d'avril 1894)