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Les ballons-Sondes, de 1892 à 1900

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par Roland, F5ZV

Voir aussi : - Caractéristiques de l'atmosphère - La troposphère - Georges BESANÇON - Gustave HERMITE - Les "Aérophiles", ballons-sondes des années 1890 - Le météorographe, enregistreur graphique pour altitudes élevées - Les premiers ballons-sondes, par BESANÇON et HERMITE (1892) - Les ascensions internationales - Les premiers ballons-sondes allemands 1894-1899 - Fonctionnement d'un ballon-sonde des années 1890 -


Savoir ce qui se passe au-dessus des nuages est un vieux rêve de savant ; Blaise PASCAL, en envoyant son beau-frère Florin PERRIER au sommet du Puy-de-Dôme avec un tube de Toricelli le 19 septembre 1648, initiait les recherches en altitude et fournissait l'instrument pour mesurer cette dernière : l'altimètre.

Avant 1800

Le 3 août 1787 Horace-Bénédict de SAUSSURE profite de son ascension du Mont-Blanc pour en mesurer la hauteur et la température d'ébullition de l'eau mais, déjà en 1783, il a été un des premiers scientifiques à voir l'intérêt des ballons pour l'exploration de l'atmosphère et le prouve en participant à la souscription recueillie pour aider les frères Montgolfier. Tout comme les membres de l'Académie royale des sciences chargés d'examiner la Machine aérostatique qui pronostiquaient dans leur rapport de 1783 [03] :
   "...L'aérostat pourra être employé encore dans beaucoup d'usages pour la Physique, comme pour mieux connoître les vîtesses & les directions des differens vents qui soufflent dans l'atmosphère, pour avoir des électroscopes portés à une hauteur beaucoup plus grande que celle où on peut élever des cerf-volans ; enfin, comme nous l'avons déjà dit, pour s'élever jusque dans la région des nuages, & y aller observer les météores..."

ce à quoi ajoutait, en 1784, l'astronome Pierre Charles Le MONNIER, également académicien [12] :
   "Le vulgaire s'est fort occupé jusqu'ici des moyens de multiplier à l'infini l'art de diriger les aérostats ; mais quelques génies plus perçants ont proposé de lancer les aérostats à ballons perdus, garnis de baromètres et de thermomètres, afin de reconnaître, par cette voie l'état des parties les plus élevées de notre atmosphère : déjà sont indiqués les moyens de reconnaître les termes que le mercure aura parcouru dans ces tubes à l'aide d'un fil d'or plongeant dans la graduation d'un baromètre renversé à deux colonnes ; déjà nous connaissons d'autres moyens industrieux pour les thermomètres qui indiqueraient les degrés de froid de la partie la plus élevée de notre atmosphère."


On ne parlait pas encore de ballons-sondes, mais l'idée était déjà en l'air...

Entre 1800 et 1890

  Le 19e siècle est celui de l'utilisation du ballon monté (monté par un ou plusieurs aéronautes) pour effectuer des mesures en altitude. Jusqu'en 1783, le ciel était le royaume exclusif des animaux volants, oiseaux et insectes (sans oublier les chauves-souris), le savant n'avait alors que son imagination pour essayer de comprendre la formation des nuages et des vents, et si les premiers voyageurs du ballon à air chaud étaient un mouton, un canard et un coq, c'était aussi parce qu'on ne savait pas si la vie serait possible là-haut. Rien d'étonnant à ce que "beaucoup de savants se soient faits aéronautes pour étudier ce qui passe dans les hautes régions de l'atmosphère" comme le constate Emile-Alix DURAND GRÉVILLE en 1893 [11].
  Jean-François PILATRE de ROZIER était physicien mais il avait bien d'autres choses à penser lors de son premier vol qu'à faire des mesures en altitude et la physique qu'il enseignait était plutôt du genre spectaculaire. Jacques CHARLES, physicien également mais plus tourné vers la théorie et l'expérimentation, emportait un baromètre et un thermomètre dans sa nacelle en osier. Il réalisait ainsi la première ascension scientifique de l'Histoire mais ses instruments étaient lourds, fragiles et nécessitait qu'un observateur lise et transcrive les valeurs mesurées. Il faudra attendre les années 1890 pour que des appareils enregistreurs à la fois robustes, légers et précis soient mis au point.
  Les ascensions à but scientifique sont nombreuses pendant tout ce siècle : Jean-Baptiste BIOT et Joseph-Louis GAY-LUSSAC en 1804, Jean-Augustin BARRAL et Jacques Alexandre BIXIO en 1850, John WELSH et Charles GREEN en 1852, James GLAISHER et Henry COXWELL en 1862... Mais chaque expérience est très coûteuse et n'est pas sans risque pour les explorateurs des très hautes altitudes, certains l'ont payé de leur vie, comme Joseph CROCÉ-SPINELLI et Théodore SIVEL qui, le 15 avril 1875 meurent asphyxiés lors d'une ascension à plus de 8600m en compagnie de Gaston TISSANDIER ; par chance ce dernier survivra et témoignera.
  Alors que la fréquence des vols de ballons montés à but scientifique diminuent en France, dans les années 1870 à 1890, sont construits en haute montagne des observatoires et des stations météorologiques comme ceux du Puy de Dôme en 1876, du Säntis (HB) et du Ventoux (F) en 1882, du Pic du Midi (F) en 1886 pour ne parler que des stations de l'Europe de l'Ouest. Mais les besoins d'informations sur l'état de l'atmosphère pour permettre le développement de la météorologie, comme le précise Camille FLAMMARION en 1868, et les interrogations relatives aux altitudes supérieures à 10000m, au-delà des possibilités de survie de l'homme-aéronaute, sont toujours là.
  L'idée d'utiliser des "ballons perdus", n'est pas perdue. En 1873 Claude JOBERT, lors d'une séance de la Société française de navigation aérienne, propose l'utilisation de ballons non montés portant des appareils enregistreurs. Cette idée, il la ressort en décembre 1892, après que Gustave HERMITE et Georges BESANÇON aient lancé avec un succès indéniable une série de petits ballons emportant des instruments encore rudimentaires ; et il prétend en gros que, si on l'avait écouté vingt ans avant, ses camarades SIVEL et CROCÉ-SPINELLI ne seraient pas morts... En fait, cette idée n'est pas seulement la sienne puisque, comme l'objecte le même jour W. de FONVIELLE [15], Urbain LEVERRIER et lui-même l'avait déjà exposée vers 1867 ; si cette idée n'avait pas encore été mise en application, c'est que les craintes de ne jamais retrouver un petit ballon et l'absence d'instruments enregistreurs à la fois bon marché, légers, robustes et de grande qualité l'ont découragé, lui et tous ceux qui avaient encore les yeux tournés vers les ballons montés et qui goûtaient volontiers le plaisir de s'élever dans les airs [05].

Premiers ballons-sondes

  
Gustave HERMITE et Georges BESANÇON, tout deux amis et aéronautes, rêvaient de développer ensemble un projet important dans le domaine de l'aéronautique. Après avoir renoncé à un voyage d'exploration en ballon au-dessus de l'Arctique avec pour but de survoler le Pôle Nord, il ont entrepris de mettre au point un ballon non monté capable d'emporter (et surtout de ramener au sol en bon état) un appareil enregistreur de la pression et de la température. En bref : mettre en application l'idée des JOBERT, FONVIELLE et autres théoriciens, en prenant le taureau par les cornes.
  Passer à l'acte, en 1891-1892, consiste à vérifier d'abord les chances pour un ballon perdu d'être retrouvé dans la nature par un quidam et de pouvoir utiliser les enregistrements effectués. La série d'expériences menées en 1892 a permis de lever des doutes sur plusieurs points :
- un ballon de petite taille peut atteindre les hauteurs supérieures à 10000m
- les instruments emportés ont de fortes chances d'être intacts après l'atterrissage
- une grande proportion de nacelles peuvent être retrouvées rapidement après leur chute dans la campagne.
Voir la page : Les premiers ballons-sondes, par BESANÇON et HERMITE (1892)
  Les enseignements tirés de ces premiers essais vont permettre aux deux associés de passer à l'étape suivante : le lâcher de véritables petits laboratoires volants : les aérophiles.

L'Aérophile et les aérophiles

  L'Union aérophile de France, dont Georges BESANÇON dirige le magazine associatif l'Aérophile, soutient le projet "Exploration de la Haute Atmosphère" de Gustave HERMITE. Ce dernier est plutôt chargé de l'aspect scientifique de l'opération : conception et mise au point des enregistreurs en collaboration avec le célèbre fabricant d'instruments de mesure Jules Richard, exploitation des données, analyse de la trajectoire du ballon... tandis que BESANÇON s'occupe plutôt des questions d'organisation ou de réalisation du ballon.
  Le premier aérophile a été lâché le 21 mars 1893, il est retombé à Chamvres (89). Il a été suivi par neuf autres dont certains ont participé aux expériences internationales pour l'étude de la haute atmosphère. On ne parlait pas encore de stratosphère, cette région qui ne sera identifiée comme telle qu'au début du siècle suivant.
Voir la page : Les "Aérophiles", ballons-sondes des années 1890


Les premières expériences internationales

  Les premiers essais de BESANÇON et HERMITE ne sont pas passés inaperçus. Les météorologistes allemands qui étudiaient alors l'atmosphère à l'aide de ballons montés (c'est à dire emportant les savants et leurs instruments de mesure) leur ont rapidement emboîté le pas avec leur ballon-sonde nommé Cirrus. Mais l'étude du mouvement des masses d'air ne pouvait avoir de sens qu'en pratiquant simultanément sur une vaste région (de plusieurs centaines de kilomètres de diamètre) des mesures simultanées. Tous y avaient songé mais l'initiative est venue de Richard Assmann en juin 1896 et, dès le 14 novembre 1896, débutait la série des ascensions internationales (ballons-sondes et ballons montés).
  Voir la page : Les ascensions internationales 1896-1900 

Léon TEISSERENC de BORT et son observatoire à Trappes

 Après avoir quitté le Bureau Central météorologique en 1892 parce qu'il y manquait d'air, TEISSERENC de BORT fonde un Observatoire de Météorologie dynamique dans sa propriété de Trappes (78) dont il finance la constrution et le fonctionnement sur sa fortune personnelle. Dès 1896 il est en mesure d'effectuer les observations courantes d'une station météorologique mais aussi de photographier les nuages et d'envisager à la fois les sondages par ballons-sondes (à partir du 7 avril 1898) et par cerfs-volants. Bien sûr les travaux des précurseurs que sont HERMITE et BESANÇON lui ont permis de développer des méthodes et des matériels optimisés pour passer rapidement à un stade opérationnel où l'expérimentation concerne surtout la chose à mesurer : l'atmosphère. C'est ainsi que le 8 juin 1898, à l'occasion de la quatrième expérience internationale, l'observatoire lâchait trois ballons dont deux ont effectué leur ascension en pleine nuit de façon à limiter les perturbations dues au rayonnement solaire.
  Figure ci-contre : lâcher de ballon à l'Observatoire de Trappes en 1906 (CPA, collection privée)

  Le 21 décembre 1903, quand il reçut le prix ESTRADE-DECROS, le directeur de l'Observatoire de Trappes avait lâché en cinq ans un total de 840 ballons-sondes dont 380 s'étaient élevés à plus de 13000m, 234 à plus de 14000m et 89 avaient dépassé 15000m. Si la plupart des enveloppes avaient été perdues, la grande majorité des nacelles (96%) avaient été retournées à Trappes par les découvreurs (une petite prime les y encourageait...).
  Les observations par cerfs-volants avaient l'avantage d'être plus économiques et de fournir des résultats quasi en temps réel, il n'était pas nécessaire d'attendre plusieurs jours pour voir revenir l'enregistreur comme dans le cas d'un vol de ballon-sonde. Par contre l'altitude atteinte dépassait rarement 5000m et si par malheur le câble de retenue cassait, les accidents pouvaient être graves comme ce fut le cas le 9 septembre 1899, quand le câble d'acier de 6km, traîné par la grappe de cerfs-volants poussée par le vent, provoqua courts-circuits et perturbations dans la zone de chute [07].
Le nom de "ballon-sonde"

  On trouve le terme de ballon-sonde dans le numéro de mai 1875 de l'Aéronaute. Théodore SIVEL l'utilise pour désigner un dispositif ingénieux constitué de deux petits ballons captifs attachés à une perche horizontale qui, fixée sur la nacelle d'un aérostat, les éloigne du ballon principal qui soulève cette dernière. L'un des petits ballons est gonflé au gaz d'éclairage et monte, l'autre est rempli d'air et retombe. Comme les ficelles qui les retiennent tous deux sont longues de 400m, il suffit d'observer la position de chaque ballon pour connaître la direction et la force du vent au-dessus et en dessous de l'aérostat. Le rôle de ces "ballons-sondes" comme les nomme SIVEL est plutôt celui de "ballons-pilotes captifs".
 Dans le sens qu'on lui connaît maintenant, le mot ballon-sonde était déjà couramment utilisé dans la séance du 15 décembre 1892 de la Société Française de Navigation Aérienne [05], Charles Denis LABROUSSE pense que l'expression a été utilisée pour la première fois par l'ingénieur aéronaute Gabriel YON et fait remarquer que SIVEL l'utilisait dans le sens décrit plus haut. Dans sa note intitulée Sur l'emploi des ballons non montés à l'exécution d'observations météorologique à très grande hauteur, présentée le 12 décembre 1892 à l'Académie, le commandant RENARD désigne l'objet de son projet aussi bien par sonde aérienne que par ballon-sonde. Dans le premier numéro de l'Aérophile, HERMITE utilise aussi le terme de "ballon explorateur" [11]. En 1898, un petit article publié dans La Nature, utilise le terme de ballon enregistreur pour désigner les ballons-sondes allemands ; il s'agit simplement de la traduction de Registrirballon, mot allemand remplacé maintenant par Wetterballon.
  Le terme de radiosonde, forgé a priori par Robert BUREAU vers 1930, est issu de celui de ballon-sonde. Un "radio-ballon-sonde", en quelque sorte, construction lexicale de genre masculin qui explique peut-être que le mot radiosonde ait été masculin avant de changer de genre quelques années plus tard.


Bibliographie, sources et notes

01 : La navigation aérienne - Joseph Louis LECORNU - 1903 - (Gallica-BnF)
02 : Histoire de la météorologie - Alfred FIERRO - Ed. Denoël - 1991
03 : Rapport fait à l'Académie royale des sciences par MM. Leroy, Tillet, Brisson, Cadet, Lavoisier, Bossut, de Condorcet et Desmarest. 1783 (Gallica-BnF)
04 : Compte-rendu de la séance du 3 décembre 1873 dans l'Aéronaute 1874-02 - (Gallica-BnF)
05 : Compte-rendu de la séance du 15 décembre 1892 de la Société Française de Navigation Aérienne publiée dans l'Aéronaute 1893-02 - (Gallica-BnF)
06 : L'invention du ballon-sonde - Michel ROCHAS - La Météorologie - 2003
07 : L'atmosphère - Olivier E. ALLEN - Time Life
08 : Comptes-rendus hedomadaires des séances de l'Académie des sciences - (Gallica-BnF)   
09 : L'exploration des hautes régions de l'atmosphère par Ch.-E. GUILLAUME - La Nature, revue des sciences - 05/12/1892
10 : Les ballons-sondes de MM. HERMITE et BESANÇON et les ascensions internationales - Wilfrid de FONVIELLE - Gauthiers Villard - 1898
11 : L'exploration de la Haute Atmosphère par Gustave HERMITE - L'Aérophile n°1-2-3 de 1893
12 : L'Aéronaute, n° de mars 1900 -
13 : Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, séance du 13/07/1868 - (Gallica-BnF)  
14 : Leçons sur la navigation aérienne par Lucien MARCHIS - Dunod 1903 (Gallica/BM de Bordeaux)
15 : Wilfrid de FONVIELLE (1826-1914), journaliste et écrivain, vulgarisateur scientifique prolifique et aéronaute. Président de l'Union Aérophile de France en avril 1894 quand le portrait ci-dessus a été dessiné pour le Journal des voyages (L'aérophile, n° d'avril 1894)