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Les premiers ballons-sondes, par BESANÇON et HERMITE (1892)

Retour : 01- Généralités - Les ballons-Sondes de 1892 à 1900

par Roland, F5ZV

Voir aussi : - Caractéristiques de l'atmosphère - La troposphère - Georges BESANÇON - Gustave HERMITE - Les "Aérophiles", ballons-sondes des années 1890 - Le météorographe - Le barographe à minima-maxima de Gustave HERMITE - Les ascensions internationales - Les premiers ballons-sondes allemands 1894-1899 - Fonctionnement d'un ballon-sonde des années 1890 -



  Dès les premiers vols de Jean-François PILATRE de ROZIER et du marquis François Laurent d'ARLANDES en montgolfière, d'une part, et l'ascension du physicien Jacques CHARLES avec le ballon à gaz de sa conception, d'autre part, les savants de l'Académie royale des sciences ont vu la possibilité d'observer et de mesurer ce qui se passait au-dessus des nuages.
  La première ascension scientifique de l'Histoire fut celle de CHARLES qui s'était muni d'un baromètre et d'un thermomètre dans la nacelle du ballon qui l'éleva seul à près de 3000m le 1er décembre 1783 [01] après qu'il eut déposé son coéquipier dans la plaine entre Hédouville et Nesles-la-Vallée (95). Peu de temps après il y avait déjà des voix, comme celle de l'astronome Pierre Charles Le MONNIER, pour imaginer des ballons perdus emportant baromètres et thermomètres dans les parties les plus élevées de l'atmosphère. Il fallut cependant attendre presque 120 ans pour que leur rêve trouve un début de réalité. Entre-temps de nombreuses ascensions avaient été consacrées à l'étude de l'atmosphère jusqu'à des altitudes proches de 9000m.

Hermite et Besançon

  En 1890, Gustave HERMITE et Georges BESANÇON, sont deux amis passionnés par l'aérostation et les sciences. C'est l'époque des grandes explorations et ils envisagent de rejoindre le pôle Nord en ballon. Ce projet un peu fou (l'explorateur suédois Salomon August ANDRÉE qui le reprendra à son compte en 1897 n'en reviendra pas) n'ayant pas pu se réaliser faute de financement, ils n'avaient pas pu assouvir ainsi leur passion commune pour l'aérostation et pour l'exploration ; c'est alors qu'ils décident de se tourner vers des ascensions plus accessibles et moins risquées basées sur l'expérimentation de ballons de quelques mètres-cubes. A défaut des grands froids des grandes latitudes, ils allaient mesurer la température des grandes altitudes, sans quitter la France, à part bien sûr pour aller récupérer quelques précieuses nacelles tombées à l'étranger.
  Photo ci-contre : Gustave HERMITE et Georges BESANÇON dans la nacelle du Balaschoff en 1898

Essais préliminaires


  Telle que l'imaginent HERMITE et BESANÇON en 1891, l'exploration des régions élevées de l'atmosphère à l'aide de ballons non montés devrait se dérouler de la façon suivante :

1- Utilisation de petits ballons, très peu coûteux, capables d'enlever une charge utile de quelques kilogrammes représentée par les instruments enregistreurs. Le ballon, ouvert à la base, n'éclate pas ; il perd un peu de son gaz au fur et à mesure de la détente due à la baisse de pression de l'air ambiant et finit par plafonner. Ensuite, à cause de la porosité de l'enveloppe, le gaz qui reste s'échappe lentement et le ballon redescend tout doucement, comme une radiosonde de 2016 sous son parachute.
2- Suivi de la trajectoire au sol pour tenter d'estimer la force et la direction des vents.
3- Arrivée au sol en bon état, la nacelle doit être retrouvée, récupérée avec précaution et confiée à l'autorité (l'instituteur, le maire ou les gendarmes) qui se chargera de prévenir les envoyeurs et de lui retourner le tout par voie postale.
4- L'enregistreur doit être fiable, précis, léger et bon marché car il est certain qu'il s'en perdra un certain pourcentage.

  C'est justement ce pourcentage qui préoccupe les deux expérimentateurs. Avant tout, il faut s'assurer que ces ballons seront retrouvés par quelqu'un, que les appareils ne seront pas brisés en arrivant au sol et qu'au bout du compte il sera possible de les récupérer pour prendre connaissance des mesures effectuées et, si possible, les remettre en état pour une nouvelle utilisation. Ensuite il faut savoir quelle distance peut parcourir et quelle altitude maximale un petit ballon peut atteindre avec un enregistreur, et surtout avec quel type d'enregistreur [07].
  Bref, il ne suffit pas d'avoir l'idée, il faut trouver des solutions pour que le rêve des JOBERT et autres théoriciens puisse se réaliser.
 
  La première étape débute en mars 1892. Son but est d'estimer les chances de récupération. Elle consiste pour HERMITE et BESANÇON à envoyer presque chaque jour, depuis le balcon de leur appartement du boulevard de Sébastopol à Paris, un ballonnet en papier d'un mètre-cube environ gonflé au gaz d'éclairage, sous lequel est attaché une carte-réponse [03]. La moitié des ballons seront retrouvés, ce qui est déjà un résultat très encourageant. Les chasseurs de radiosondes de 2016 peuvent imaginer la tête des paysans et des promeneurs de 1892 tombant sur une enveloppe de ballon en papier, flasque et souvent détrempée par la pluie...
  Rassurés sur les possibilités de récupération de leurs ballons, les deux chercheurs décident de passer à la vitesse supérieure : mettre au point un ballon capable d'emporter le plus haut possible une charge de quelques kilogrammes. Un calcul simple indique qu'un volume de plusieurs dizaines de mètres-cubes va être nécessaire. L'espace indispensable pour le lancement et la quantité de gaz requise les incite alors à opérer depuis l'usine à gaz de Noisy-le-Sec (93), au nord-est de la capitale. Georges BESANÇON s'occupe de la fabrication des ballons, HERMITE de celle des enregistreurs [03]. Le papier ne convenant guère pour des volumes supérieurs à 20m3, il leur faut bien vite envisager l'utilsation d'enregistreurs très légers. Mais avant cela un premier succès va récompenser leur persévérance.

Premiers sondages

  
C'est le 17 septembre 1892 que le premier lâcher connu de ballon-sonde a lieu. En effet, les ballons précédents n'emportaient pas de sonde digne de ce nom. Ce jour-là, un ballon de papier de 4 mètres de diamètre gonflé au gaz d'éclairage décolle de Noisy-le-Sec (sur le site de l'usine de production de gaz) en emportant un barographe-minima à mercure d'une masse de 1200g. Malgré sa fragilité l'appareil de mesure a supporté le choc à l'atterrissage. Il n'est pas monté bien haut car une averse a soudainement surchargé l'enveloppe d'humidité mais l'expérience était concluante. Les ballons suivants sont de volumes plus modestes comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous (liste incomplète) et les baromètres sont du type utilisant une capsule de Vidie [03] :
 date  Type d'enveloppe  V (m3)  Instruments  Heure  Altitude  T°C  Lieu de chute  Remarques
 04/10  Papier verni  Baromètre et thermomètre à minima, 230g 11h20  Ballon non retrouvé 
 11/10  Baudruche 0,371  Baromètre, 75g 15h35  1200m   Montdauphin (77)  
 14/10  Baudruche 0,371  Baromètre, 110g 13h40   Orry-la-ville (60) Instruments détériorés par les découvreurs
 19/10  Papier 15   Baromètre, 120g 17h50  3350m    Chamarande (91) Ballon peu gonflé
 29/10  Papier  Baromètre, 150g 12h30    Tombé Rue Paradis peu après le départ
 29/10  Papier pétrolé  Baromètre, 150g 15h55  2000m  Fontaine-Chaalis (60)  
 31/10  Papier pétrolé  Baromètre, 150g 13h45    Ballon non retrouvé 
 02/11  Baudruche  Baromètre, 120g 15h40  8700m   Ervy (10) Gonflé complètement 
 14/11  Baudruche  Baromètre et thermomètre à minima, 260g 13h30  7600m  -10°C   Vauciennes-Chavres (60) Gonflé complètement 
 17/11  Baudruche  Baromètre et thermomètre à minima, 260g 10h45  8200m -18°C   Goyencourt (80) Gonflé complètement 
 20/11  Papier pétrolé  Baromètre et thermomètre à minima, 200g 20h40  6600m -19°C   Voulton (77) Gonflé aux 2/3
 27/11  Papier pétrolé  Baromètre, 120g 15h10  9000m  Ste-Florence (85) Gonflé à moitié

  La baudruche utilisée n'est pas du latex comme celle des enveloppes utilisées de nos jours, c'est la membrane d'une poche faisant partie du système digestif des ruminants. Cette baudruche naturelle a été longtemps utilisée dans les capteurs d'humidité des radiosondes. Les premiers ballons en caoutchouc ne feront leur apparition que quelques années plus tard.
Le panier en osier contenant l'enregistreur est accroché au filet qui couvre l'enveloppe.
  On remarque que les températures mesurées les 14 et 17 novembre semblent faibles pour les altitudes citées. Le 15/11/2015 à 12Z la radiosonde de Trappes a relevé une température de -24°C à 7600m et de -32°C à 8200m, valeurs d'ailleurs plutôt élevées si on les compare aux moyennes relevées par les radiosondages dans les années 2010 à 2014. La raison en est sans doute la grande inertie du thermomètre ou bien son réchauffement par le rayonnement solaire, malgré les précautions prises.

Appareil enregistreur

  Il est représenté sur la figure ci-contre publiée à l'origine dans l'Aérophile [02]. Le capteur de pression (au-dessus du thermomètre à maxima-minima) est construit autour d'une capsule de Vidie qui, en se dilatant, trace grâce à un style frottant sur une petite plaque de verre recouverte de noir de fumée (repère P sur la figure) un trait de longueur proportionnelle à la baisse de pression. Il s'agit là d'enregistrer la déformation maximale de la capsule mais pas encore de tracer la courbe de la variation de pression en fonction de l'altitude. Après la récupération de l'enregistreur, Gustave HERMITE place ce dernier sous une cloche à vide dont la pression est mesurée à l'aide d'un manomètre à mercure ; il peut ainsi déterminer le point le plus haut de la trajectoire. Ayant constaté que la capsule de Vidie ordinaire ne permet pas des mesures au-dessus de 8000m, il fabrique un enregistreur utilisant deux capsules superposées ; un principe qui était encore en vigueur dans certaines radiosondes des années 1980.
  Voir : Le barographe à minima-maxima de Gustave HERMITE.
  
  Le thermomètre à maxima-minima est un modèle très classique utilisant à la fois les propriétés de dilatation de l'alcool et celles du mercure. Le "segment" de mercure servant aussi à pousser deux petits index qui mémoriseront l'un la valeur minimale et l'autre la valeur maximale rencontrées (en fait, seule la température minima intéresse Gustave HERMITE). Or la température de solidification du mercure étant de -39°C toute mesure à très haute altitude s'avère impossible avec un appareil utilisant ce métal (baromètre y compris). En dehors des météorographes dont le fonctionnement est décrit sur cette page, Gustave HERMITE a utilisé un thermomètre à alcool coloré (en noir) doublé d'un papier photographique sensible à la lumière lors d'un vol du
ballon-sonde l'Aérophile, le 20/10/1895.

Emulation

  Les tout premiers essais de Gustave HERMITE et Georges BESANÇON ne sont pas passés inaperçus et, le 12 juillet 1892, leur collègue aéronaute, l'inventeur et aéronaute Louis CAPAZZA transmet à l'Académie des sciences une note relative à la "possibilité d'ascensions à très grandes hauteurs, sans aéronautes, pour des déterminations scientifiques" qui est présentée par Marcellin BERTHELOT, son secrétaire perpétuel [04] . Elle a sans doute été jugée d'intérêt secondaire par la Commission des aérostats puisqu'elle n'a pas été publiée dans les Comptes-rendus. Louis CAPAZZA en reste là.
  Cette annonce pousse HERMITE à faire connaître le travail qu'il a entrepris avec Georges BESANÇON et, dès qu'ils ont accumulé suffisamment de résultats intéressants, il rédige un mémoire qui fait l'objet d'une communication à l'Académie des sciences le 21 novembre 1892 [04]. Elle suscite beaucoup d'intérêt de la part des scientifiques et fait l'objet de commentaires, chacun y allant de ses conseils et avertissements [07]. Le commandant Charles RENARD, directeur de l'Établissement central d'aérostation de Meudon montre, dans sa communication du 12 décembre à l'Académie, qu'il a déjà travaillé sur le sujet, du moins théoriquement, et décrit précisément des solutions techniques fiables pour, d'après lui, atteindre l'altitude de 20000m [04] [06].

La suite

Ces essais très encourageants ont fourni à Gustave HERMITE et Georges BESANÇON une expérience qui leur a permis de mettre au point une série de véritables ballons-sondes. Le nom de code de cette série est "Aérophile", du nom de la société d'aéronautes à laquelle appartiennent HERMITE et BESANÇON : l'Union Aérophile de France. Ces ballons permettront de faire des progrès à la fois spectaculaires et immédiats dans la connaissance de l'atmosphère (composition de l'air, mouvements des masses d'air, décroissance de la température...) mais aussi dans la technologie des ballons stratosphériques et des instruments de mesure. On verra en 1896 les autres savants européens et, dans une moindre mesure, étatsuniens, s'engouffrer dans la brèche ouverte par les deux Français.
  Voir aussi la page : Les aérophiles


Bibliographie, sources et notes

01 : La navigation aérienne - Joseph Louis LECORNU - 1903 - (Gallica-BnF)
02 : L'exploration de la Haute Atmosphère par Gustave HERMITE - L'Aérophile n°1-2-3 de 1893
03 : Les ballons-sondes de MM. HERMITE et BESANÇON et les ascensions internationales - Wilfrid de FONVIELLE - Gauthiers Villard - 1898
04 : Comptes-rendus hedomadaires des séances de l'Académie des sciences - (Gallica-BnF)   
05 : L'invention du ballon-sonde - Michel ROCHAS - La Météorologie - 2003
06 : L'exploration des hautes régions de l'atmosphère par Ch.-E. GUILLAUME - La Nature, revue des sciences - 05/12/1892
07 : Compte-rendu de la séance du 15 décembre 1892 de la Société Française de Navigation Aérienne publiée dans l'Aéronaute 1893-02 - (Gallica-BnF)