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 Histoire du radiosondage : les préliminaires, de 1783 à 1928

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Histoire du radiosondage :
  Les préliminaires, de 1783 à 1928
  Les débuts du radiosondage : 1929 à 1940
  Les radiosondes à tubes de 1940 à 1970

Voir aussi :
 De la montgolfière à la radiosonde moderneLes radiosondages en mer, histoire - Le Wettermuseum de Lindenberg - Le "Musée virtuel" de Météo-France
Les radiosondes anciennes -   


Mesurer dans la haute atmosphère

  De tout temps les hommes ont cherché à savoir ce qui se passe dans les nuages et bien au-dessus. La montgolfière, et surtout le ballon à gaz monté (emportant un pilote et ses passagers éventuels dans une nacelle), ont été très tôt utilisé par les scientifiques pour pratiquer toutes sortes de mesures ; après celle d'Etienne Robert, dit Robertson, en 1803 près d'Hambourg, l'ascension de Gay-Lussac en 1804 est un événement important. En montant jusqu'à plus de 7000m au péril de sa santé pour prélever des échantillons d'air, mesurer la température de l'air et en évaluer l'humidité il inaugure une longue série d'expéditions verticales qui coûteront plus tard, en 1875, la vie à deux aéronautes-chercheurs, Sivel et Crocé-Spinelli, lors de l'ascension du Zenith à une altitude de plus de 8000m.
  En dehors des mesures in situ effectuées à l'aide d'appareils scientifiques les ballons furent très tôt utilisés pour étudier, ou du moins évaluer, les vents en altitude. Ainsi les aéronautes de foire utilisaient au XIXe siècle des petits ballons "perdus" qu'ils lâchaient pour estimer la direction et la vitesse des vents en altitude avant de prendre l'air.

Les ballons-sondes

  Le coût d'une ascension d'un ballon monté mais aussi le risque encouru par les aéronautes limitent les expériences en altitude. C'est pour ces raisons que le 11/10/1892 Gustave Hermite et Georges Besançon tentent et réussissent le premier lâcher de ballon-sonde. Il s'agit d'un ballon de baudruche emportant un barographe de construction très simple. Il est basé sur l'utilisation d'une capsule anéroïde qui fait se déplacer un style laissant une trace sur un disque recouvert de noir de fumée. Ce premier ballon-sonde monta à 1200 m d'altitude et parcouru 75 km.
  Cette expérience fut la première d'une série menée par l'Union aérophile de France. "Aérophile" était le nom portés par les ballons lâchés dans le cadre de cette campagne ; des altitudes de plus de 8000 mètres ont été atteintes. Quelques mois plus tard les Allemands tentent des expériences semblables pour mesurer à la fois la température et la pression. Le nom de code des ballons utilisés est "Cirrus". Ils atteignent l'altitude de 16000 m et mesurent des températures de -50 degrés. A partir de 1896 ont lieu des essais communs entre l'Allemagne, la France et la Russie. Le nom des ballons utilisés lors de cette campagne scientifique est "Strasbourg".
  Léon Teisserenc de Bort, météorologiste français travaillant au Bureau Central Météorologique, fonda en 1896 son propre Observatoire de Météorologie à Trappes (78). Dans le cadre de ses études de l'atmosphère, il effectua plus de 200 lâchers de ballons-sondes qui lui permirent de prouver l'existence d'une couche particulière de l'atmosphère (la stratosphère) située au dessus de la troposphère et où la température remonte avec l'altitude au delà d'une limite (la tropopause) dont il a mis en évidence les variations d'altitude en fonction de la saison et de la position géographique. Ces ballons-sondes emportaient un matériel enregistreur (température, pression), le météographe, qui conservait sous forme de tracés les valeurs mesurées. Après éclatement, la nacelle redescendait sous parachute et attendait patiemment qu'un promeneur, un paysan ou un bûcheron la retrouve et permette son retour à l'expéditeur.

Cerfs-volants et ballons captifs

  Une autre technique pour obtenir plus rapidement des mesures dans la partie basse de la troposphère était l'utilisation de ballons captifs, de cerfs-volants ou encore l'avion qui, dès le milieu des années 1910 pouvait monter couramment à plus de 5000m. Ces appareils emportaient un météographe, un enregistreur graphique dont le principe est très simple : les déformations des capteurs, par exemple la dilatation de la capsule de Vidie servant à mesurer la pression (donc l'altitude), sont amplifiées par un système de leviers jouant le rôle de stylets frottant sur un tambour. Cependant, les températures très basses à haute altitude ont posé des problèmes importants pour l'enregistrement graphique, l'encre perdant sa fluidité, par exemple.
Un exemple de météographe est montré sur la photo ci-jointe. Il s'agit ici d'un appareil allemand de type Bosch-Hergesell photographié au Wettermuseum de Lindenberg. L'appareil était placé dans le panier que l'on voit à l'arrière plan-et qui protégeait le mécanisme des chocs et du rayonnement solaire.

Les différents moyens de transport du météographe jusque dans les années 1930 avaient chacun leur domaine d'utilisation :
- du sol jusqu'à 3000m : cerfs-volants, ballons captifs, avions
- du sol jusqu'à 6000m :avions
- du sol jusqu'à 15000, voire 35000m : ballons sondes, avec l'inconvénient de ne récupérer les données qu'au bout de plusieurs jours dans le meilleur des cas.

Chacun de ces véhicules a ses particularités :
- cerfs-volants : une des contraintes du cerf-volant est la nécessité de disposer d'un vent ni trop faible, ni trop fort. Un outre sa mise en oeuvre est assez délicate (accidents provoqués par la rupture du câble) et nécessite une installation au sol très spécifique (treuil et large espace autour de celui-ci pour permettre le décollage). Par contre, il peut voler aussi bien de jour que de nuit. Deux personnes peuvent suffire pour le mettre en oeuvre. Il est peu coûteux et sa fragilité n'est pas un gros inconvénient.
- ballon captif : gonflé à l'hydrogène, il nécessite du personnel et des installations importantes : hangar pour le stockage (car on ne le dégonfle pas à chaque vol...), treuil de grande puissance, espace de manoeuvre autour du treuil...). Il peut sortir de jour comme de nuit mais par vents modérés. Tous comme pour le cerf-volant dont il partage le système d'arrimage à la planète, son câble peut présenter un danger pour l'aviation.
- avion : très souple d'utilisation, il présente l'avantage de pouvoir faire des séries de mesures sur une grande zone et à diverses altitudes. Le coût de ses sorties est relativement élevé mais il peut être nul si l'avion est affrété pour une autre tâche (transport, reconnaissance et observation...). Le météographe doit être placé en dehors des turbulences générées par l'hélice et à l'abri du rayonnement thermique du moteur. Le niveau élevé des vibrations sur les avions des débuts imposait des modèles d'appareils enregistreurs robustes.


Autres moyens

  A ce qu'on vient de voir il faut ajouter les ballons pilotes dont la trajectoire, observée au théodolite, permet de déterminer la vitesse et la direction du vent jusqu'au plafond visuel ; de nuit une petite lampe permet de suivre le déplacement du ballon. Cette technique n'est utilisable que quand le ciel est suffisamment dégagé et quand les intempéries ne viennent pas trop perturber le travail des opérateurs.
 Les fusées-sondes ne seront utilisées que bien plus tard (V2 Regener Tonne, lancée de la base de Peenemünde en mars 1944) pour des mesures ponctuelles mais à des altitudes pouvant dépasser 100km.

Le besoin d'informations en temps réel

Bien avant que la science des prévisions météo ne fasse les progrès spectaculaires des années qui ont suivi la Première guerre, pendant le conflit justement, les besoins en données en temps réel se sont fait sentir. Avant de déclencher un bombardement, les artilleurs veulent savoir si la température de l'air en hauteur (entre 1000 et 3000m) ou la vitesse du vent sont bien celles qui ont été prévues. De même, à l'instant où une attaque aux gaz doit être décidée, le commandement a besoin d'informations toutes fraîches concernant les masses d'air et leurs déplacements. Faire monter et descendre un ballon et son météographe prend du temps, on veut savoir tout de suite quelle est la vitesse du vent à 200, 500 ou 1000m, comme on veut connaître immédiatement les résultats d'un tir pour le corriger éventuellement. Pour communiquer leurs informations, les observateurs d'artillerie aérostiers ont dans leur étroite nacelle un poste téléphonique relié au sol par une paire téléphonique. En 1917 l'officier du génie Edmond ROTHE et le lieutenant d'artillerie Pierre IDRAC, eurent l'idée d'utiliser un dispositif embarqué dans un ballon captif pour transmettre au sol sous forme d'impulsions électriques la vitesse du vent. Si le ballon (la saucisse ou drachen comme on l'appelait alors) emportant un observateur pouvait sans difficulté soulever le poids d'un câble téléphonique, il n'en était pas de même pour un petit ballon captif dont la charge utile ne pouvait dépasser quelques kilogrammes. Pierre IDRAC eut alors d'idée d'embarquer dans la nacelle un petit émetteur à étincelles dont le signal était manipulé par un interrupteur fermé à chaque tour du moulinet de l'anémomètre. Le câble d'acier retenant le ballon servait d'antenne et les signaux étaient décodés au niveau du treuil à l'aide d'un récepteur à galène, une "boîte de réception" comme on l'appelait. On ne pouvait pas vraiment parler de radiosonde mais l'idée était dans l'air, si l'on peut dire.

Transmission depuis un ballon-sonde

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les transmissions par TSF entre un aéronef et le sol nécessitent un émetteur et un générateur lourds et encombrants. Les lampes sont couramment utilisées dans les équipements au sol mais elles sont encore fragiles et sont alimentées par des des batteries lourdes et peu pratiques. Il n'est donc pas étonnant que Pierre IDRAC, qui avait pensé déjà en 1917 installer un émetteur dans un ballon-sonde comme le rapporte Edmond ROTHE, ait renoncé provisoirement à cette idée en attendant que la technologie fasse des progrès.

  Les impératifs présidant à la conception d'un émetteur pouvant être emporté par un ballon-sonde pour retransmettre les données mesurées sont alors nombreux :
- le poids maximum : quelques kilogrammes. Elément bloquant : l'alimentation de l'émetteur.
- les dimensions de l'antenne : la plus petite possible, quelques mètres, donc une fréquence d'émission la plus élevée possible. Elément bloquant : la limite des performances des tubes couramment utilisés vers 1920 ; on en est au tout début de l'utilisation des ondes courtes, celles dont la fréquence dépasse 3 MHz et qui sont le domaine qu'on a abandonné aux amateurs.
- la portée de l'émetteur : la radiosonde doit pouvoir être captée avec les récepteurs de l'époque jusqu'à plus d'une centaine de km. Les ondes longues ne conviennent pas, du moins avec de petites puissances. Grande interrogation : comment vont se propager les ondes courtes depuis les hautes couches de l'atmosphère, au-dessus de 10000m ?
- la fiabilité de l'émetteur : la transmission des données doit être sûre, le fonctionnement de l'émetteur ne doit pas être délicat, instable ou aléatoire. Elément bloquant : les lampes sont fragiles et leur durée de vie est limitée, les batteries doivent résister à des températures descendant jusqu'à -70°C.
- la possibilité de moduler ou manipuler l'émetteur de façon à transmettre les valeurs d'au moins deux grandeurs physiques (pression et température). Le système de codage doit être peu coûteux, fiable et léger.

  L'intérêt de l'utilisation des ondes courtes était donc évident. La bande étant large et peu fréquentée, les interférences seraient moins probables, la portée plus grande. Côté technologie, on sait qu'un circuit oscillant sur 5MHz nécessite une self beaucoup plus réduite que celle utilisée sur 500kHz. Les émetteurs et les antennes pouvaient être de poids et de dimensions réduits.
  Un des autres buts des météorologistes cherchant à embarquer un émetteur dans la nacelle d'un ballon a été l'étude des vents en altitude en suivant les déplacements du ballon par radiogoniométrie. Des recherches étaient menées dans ce sens à Lindenberg en Allemagne et aux USA. Ainsi William Blair, un Etatsunien, a t-il réalisé en 1924 un émetteur de type Hartley à une triode dont la tension plaque était obtenue avec un vibreur élévateur de tension alimenté par la batterie de chauffage du filament. Il constata les effets des variations de température sur la fréquence d'émission mais en resta là.

Première émission depuis la troposphère

  Au printemps 1927, le physicien Pierre Idrac et le météorologiste Robert Bureau décidèrent de tester la possibilité d'utiliser les ondes courtes pour la transmission de données météo depuis un ballon, au-delà de la tropopause. Le principe était simple : accrocher un petit émetteur à tube sous un ballon et en écouter les signaux pendant toute la montée.
Leur prototype émettait sur 7MHz avec une puissance de 4 watts et pesait 2,7kg. L'antenne mesurait 10,5m de longueur et était accrochée sous le ballon. La porteuse était découpée par un rupteur couplé à un moulinet animé par le vent proportionnel à la vitesse verticale du ballon.   Après quelques essais sous un cerf-volant, quatre ballons ont été lâchés début mars (deux le 3 et deux autres le 7 mars) à titre de "ballons d'essai" et le 8 mars 1927 deux autres lâchés ont dépassé l'altitude de 13000m. Comme aucun appareil n'était équipé d'un baromètre (sinon on aurait pu considérer qu'il s'agissait là de véritables et premières radiosondes) l'altitude d'éclatement a été estimée en multipliant le temps de montée, mesuré jusqu'à l'éclatement, par la vitesse ascensionnelle.
  Les signaux ont été entendus de plusieurs endroits éloignés jusqu'à 500km, en particulier par un radioamateur de Gironde, c'était la première transmission radio depuis la stratosphère et la preuve que les ondes courtes pouvaient être utilisées pour la transmission de données depuis un ballon, au-dessus de la tropopause. Les précédents essais effectués aux USA ou en Allemagne utilisaient des ondes hectométriques, aux environs de 2MHz.
La photo ci-contre, publiée en 1931 dans la revue "La météorologie", montre cet émetteur de 1927 ; on peut voir à droite la batterie alimentant la plaque des deux triodes et à gauche celle qui est destinée au chauffage des filaments. Les lampes sont au centre, entre la self (bobine en nid d'abeille, à droite) et le moulinet dont on distingue les rayons.

Bibliographie et sources

Les ballons et les voyages aériens par Fulgence Marion - 1881
Les aérostats dans Les Merveilles de la Science - Louis Figuier 1891
Les ballons-sondes de MM. Hermite et Besançon par Wilfrid de Fonvielle - 1898
Cours technique du centre d'instruction des élèves officiers radiotélégraphistes 3ème partie - 1922
The invention and development of the radiosonde par Dubois, Multhauf et Ziegler - Smithsonian Institution
De la TSF à l'électronique par Albert Vasseur - ETSF 1975
In Bannkreis von Nauen, von Artur Füerst - Deutsche Verlags-Anstalt Stuttgart und Berlin - 1923
Historical Developments in Radiosondes Systems in the Former Soviet Union par N.A. Zaitseva dans le Bulletin de l'A.M.S - 1993
Die Entwicklung der deutschen Radiosonden von 1930 - 1955 par F. Trenkle (DFVLR) - 1982
Le Radiosondage de l'atmosphère par Robert BUREAU dans Ciel et Terre d'avril 1937.
La Radiosonde a 65 ans par Michel Rochas et Michel Lagadec dans La Météorologie avril 1994
The History of Sounding Rockets and Their Contribution to European Space Research by Günther Seibert - 2006
The Signal Corps: the Outcome par G.R. Thompson et D.R. Harris - 1966
Radiosondages sur le Carimaré par R. Bureau et A. Perlat dans L'aéronautique d'avril 1938
La Liaison aérienne de l'Atlantique Nord dans "Le Matin" du 13/08/1937