Tandis que William Blair poursuivait aux USA ses essais de mesure
de vent avec un émetteur emporté par un ballon suivi
par radiothéodolites, Robert Bureau continuait seul la
mise au point de la première radiosonde de l'Histoire,
Pierre Idrac ayant été appelé pour d'autres
missions. Le 7 janvier 1929 il lâchait un ballon emportant
un émetteur dont la porteuse était découpée
en signaux périodiques composés de 0 et de 1.
Le rapport cyclique de ces signaux, c'est à dire la durée
respective d'un 1 par rapport à la durée de la période,
dépend de la température de l'air, mesurée
par un bilame métallique (rep. T sur les photos).
Le principe du système de codage est très simple
:
- Le bilame agit sur un bras à l'extrémité
duquel se trouve un curseur frottant à la surface d'un
cylindre (rep. C sur les photos).
- Le cylindre a sa surface en partie métallisée
(rep. m) et en partie isolante (rep. i).
- La métallisation ayant une forme en hélice, bien
visible sur les deux photos, le contact électrique entre
le curseur et le cylindre sera plus ou moins long, en fonction
de la position du curseur et de la vitesse de rotation du cylindre.
La durée du temps d'émission est donc proportionnelle
à la valeur physique mesurée (pression ou température)
- La rotation du cylindre est commandée par celle du moulinet
(repère M) due au vent relatif provoqué par
la vitesse de montée de la sonde. La période du
signal est donc proportionnelle à la vitesse de montée.
- La roue dentée (repère R), dont la rotation
est également commandée par le moulinet, module
l'émission en découpant le temps d'émission
en tops qu'il suffit de compter. Cette roue sera remplacée
par la suite par une étoile à 10 branches, puis
(après 1940) par un rupteur formé d'une roue dentée
et d'une lame faisant contact.
La première radiosonde de l'histoire de la météorologie
ou "thermoradio" lâchée le 7 janvier 1929
par Robert Bureau.
"barothermoradio" de Robert Bureau, mesurant
à la fois la pression et la température. Lâchée
au printemps 1929.
La photo ci-dessus, à droite, représente la radiosonde
du printemps 1929. Bien qu'encore expérimentale, elle a
un aspect mieux fini. On distingue très bien, sur le même
axe que le moulinet, le tambour de codage (rep. C). C'est un cylindre dont la surface est à
moitié isolante et à moitié conductrice.
Le capteur de pression (rep. P) est un
tube de Bourdon (breveté en 1849 par Eugène Bourdon,
ingénieur français), dont la forme dépend
de la pression. Le bilame métallique est à gauche
(rep. T). On peut, sans grand risque, avancer
l'hypothèse que le moulinet était situé sous
la radiosonde et que celle-ci pose pour la photo le dessus en
dessous. Les ficelles d'accrochage sous le ballon ne pouvant cohabiter
avec le moulinet.
Dans les modèles suivants, le moulinet fut remplacé
par un mécanisme d'horlogerie, moins rustique mais plus
précis et surtout plus régulier. L'énergie
nécessaire à son fonctionnement a d'abord été
celle du poids de l'appareil, comme dans une horloge comtoise
ou un coucou suisse, puis celle d'un ressort, comme dans un réveil
mécanique.
Voir : Les principes du codage chronométrique
pour les premières radiosondes.
Les années 1930
L'exemple de Robert Bureau fut très rapidement suivi en
janvier 1930 par le Soviétique Pavel Molchanov et l'Allemand
Paul Duckert en mai 1930 puis, en décembre 1931, par le
Finlandais Vilho Väisälä le fondateur du plus important
constructeur actuel de radiosondes.
La radiosonde russe avait la particularité de coder en
morse les informations à transmettre à l'aide d'un
système de commutateurs sophistiqué. Elle pouvait
donc être décodée par n'importe quel opérateur,
sans matériel spécial à la réception.
Par contre, la radiosonde perdait en simplicité. L'antenne
était un doublet demi-onde au centre duquel se trouvait
la sonde : un brin était attaché au ballon et le
second pendait sous le boîtier. Le premier vol eut lieu
le 30 janvier 1930 à l'Observatoire de Pavlovsk (qui s'appelait
alors Slutsk) près de St-Petersbourg. Des mesures de pression
et de température purent être effectuées jusqu'à
8900m d'altitude.
Note : jusque dans les années 2000, l'opinion généralement
répandue était que la première radiosonde
de l'histoire était celle de Molchanov. Cette erreur historique
reproduite à l'infini par des journalistes ou des historiens
peu scrupuleux ou mal documentés provient non pas d'une
ignorance du travail de Robert Bureau par la Communauté
scientifique mais d'une erreur de date, les lâchers de 1929
étant placés en 1930 (voir l'article de Nina Zaitseva
dans le bulletin de l'AMS d'octobre 1993 cité dans le paragraphe
Bibliographie et sources) mais aussi pour d'obscures raisons
de propagande n'ayant rien à voir avec la Science...
Le système de codage de la température dans la première
radiosonde de Paul Duckert était différent des deux
premiers puisqu'il utilisait la variation de capacité du
condensateur du circuit oscillant pour faire varier la fréquence
d'émission. Le capteur thermométrique était
également un bilame métallique et celui de pression
un tube de Bourdon. La première radiosonde allemande fut
lâchée de Lindenberg le 22 mai 1930 et dépassa
l'altitude de 15000m. Elle émettait sur une fréquence
dépendant de la température, entre 6 et 7 MHz.
Jusqu'en 1931, on peut considérer que la radiosonde est
à l'état de prototype et que les radiosondages sont
expérimentaux, il n'existe encore aucun réseau et
la fiabilité des appareils est encore insuffisantepou rêtre
exploitable. C'est l'année polaire internationale qui peut
être considérée comme l'année de naissance
du radiosondage.
Une photo de la partie mécanique de la radiosonde française
de 1932-1933 est visible sur cette fiche
du Musée virtuel de Météo-France.
On distingue très bien le mécanisme d'horlogerie
dans la partie supérieure avec l'étoile dont les
branches passent entre les deux armatures du condensateur (en
haut et à droite). L'émetteur (absent sur la photo)
était fixé au dessus de la partie mécanique.
Il était équipé d'un seul tube (une triode
montée en Hartley) placé à l'intérieur
de la bobine. L'ensemble était compact et de taille raisonnable.
Elle avait été conçue et fabriquée
par l'Office national météorologique qui devint
en 1945 la Météorologie nationale. Basée
sur le principe de Olland, elle fut
utilisée lors de l'année polaire internationale
qui s'étala sur 13 mois d'août 1932 à août
1933 (voir : Les radiosondages en mer -
histoire).
Le moulinet servant de moteur au système de codage pouvait
être remplacé par un mécanisme d'horlogerie
(en France et en Suisse) qu'il fallait remonter comme un réveil
avant le lâcher. Il semble que le poids du dispositif et
son prix aient constitué des handicaps à sa généralisation
car beaucoup de radiosondes d'après-guerre comportaient
encore un moulinet. Voir : radiosonde
Kew MK2b. Dès les années 40 on commence à
rencontrer des petits moteurs électriques dans certaines
sondes (Jacobsen)
Pour permettre la mesure de la durée du temps d'émission
(une sorte de créneau) proportionnel à la valeur
de la mesure transmise, Robert Bureau ajouta un dispositif de
codage par manipulation de la fréquence de l'émetteur.
Une roue en étoile à dix branches (dont la 10ème
manquait) tournait entre les lames du condensateur du circuit
oscillant, provoquant un déplacement de fréquence
sous la forme de séries de 9 tops séparés
par un blanc. L'opérateur au sol, en "lisant"
le tracé de l'enregistreur graphique n'avait qu'à
compter les tops à l'intérieur d'un créneau
; la présence des blancs séparant les paquets de
9 tops facilitait grandement le comptage (voir Le
système de codage de la radiosonde O.N.M.). Comme la
stabilité du signal et l'étalonnage des récepteurs
n'étant pas parfaits à cette époque (début
des années 1930), la modulation caractéristique
d'une radiosonde permettait de ne pas la confondre avec un signal
parasite, c'était une sorte de "signature".
Les fréquences utilisées dans les années
1930 pour le radiosondage sont de deux types :
- de l'ordre de 2 MHz (longueur d'onde 180m) pour les mesures
de vent en altitude par radiogoniométrie. La mesure des
angles à l'aide d'antennes-cadres étant très
précise lorsqu'on recherche le minimum de signal.
- pour les sondages PTU, antennes de taille réduite, bande
de fréquences très large aux environs de 27MHz permettant
de loger de nombreuses radiosondes en limitant les brouillages.
Les radiosondes françaises émettaient sur 22,6 MHz
en 1935.
Lors de la Conférence internationale des radiocommunications
du Caire de 1938, l'importance du service apporté par le
radiosondage est unanimement reconnu et les bandes 2050-2070 kHz,
27,5-28MHz et 94,5-95,5 MHz lui furent attribuées.
La bande des 27MHz a été longtemps réservée
pour des applications plus ou moins scientifiques. Elle était
encore utilisée par certaines RS jusque dans les années
1970-80
Dès les années 40, des fréquences plus élevées
(72MHz en Suisse, 72 et 400MHz en Amérique du Nord, 300MHz
en Allemagne...) ont été utilisées.
L'utilisation des radiosondes avait également un intérêt
capital dans l'étude de l'atmosphère au-dessus des
régions désertiques, forêts immenses et océans,
comme le soulignait Robert Bureau dans une publication de 1937,
là où les chances de retrouver un ballon-sonde et
ses enregistreurs graphiques étaient quasi nulles.
La technologie utilisée pour la transmission automatique
d'informations par radio permit entre autres la mise en place
de stations météo automatiques installées
dans des endroits difficiles d'accès (sommets montagneux,
par exemple)
Les ballons utilisés sont en latex, de 400g par exemple.
Pour les radiosondes les plus lourdes un groupement de deux ou
plusieurs ballons sont utilisés. Si un parachute est ajouté
dans la chaîne de vol, c'est moins pour limiter les risques
très improbables d'accidents sur les personnes et les biens
terrestres que pour éviter d'abîmer la précieuse
nacelle lors de l'impact. En 1938, 90% des radiosondes étaient
retrouvées et retournées à l'ONM (une prime
de 25 francs était accordée au retrouveur), la robustesse
de la sonde française autorisait le recyclage de 60% d'entre-elles.
Dix ans après le premier vol à Trappes, la radiosonde
avait atteint la maturité : ses performances et son coût
permettaient d'envisager une utilisation généralisée
à l'échelle globale. Des progrès relativement
lents ont eu lieu pendant les décennies suivantes.
En 1935, les Soviétiques entreprenaient la mise en place
d'un réseau de radiosondage qui était fort d'une
quarantaine de stations en 1940.
Les USA organisaient le leur en 1936. Ce sont ces réseaux
qui permirent de pratiquer des mesures cohérentes et coordonnées
sur une vaste échelle afin d'étudier les mouvements
des masses d'air dans les trois dimensions. Pendant l'année
1940 ce sont plus de 35000 radiosondes qui furent lancées.
En France, c'est à partir des premiers jours du printemps
1938 que la station abritée par le Fort de St-Cyr à
Montigny-le-Bretonneux (78) effectua des radiosondages quotidiens
réguliers.
Le terme de radiosonde (ou radio-sonde) est utilisé par
Robert BUREAU en 1931 ; il l'emploie au masculin.
En 1938 le mot est utilisé en allemand et en français
alors que les Anglo-saxons utilisent plutôt "radio-meteograph",
les Italiens "radio-meteographo" ; les Portugais et
les Espagnols ont adopté "Radiosonda".
Bibliographie et sources
The invention and development
of the radiosonde par
Dubois, Multhauf et Ziegler - Smithsonian Institution De la TSF à l'électronique par Albert Vasseur
- ETSF 1975 In Bannkreis von Nauen, von Artur Füerst - Deutsche
Verlags-Anstalt Stuttgart und Berlin - 1923 Historical Developments in Radiosondes Systems in the Former
Soviet Union par N.A. Zaitseva dans le Bulletin de l'A.M.S
- 1993 Die Entwicklung der deutschen Radiosonden von 1930 - 1955
par F. Trenkle (DFVLR) - 1982 Le Radiosondage de l'atmosphère par Robert Bureau
dans Ciel et Terre d'avril 1937. La Radiosonde a 65 ans par Michel Rochas et Michel Lagadec
dans La Météorologie avril 1994 The
History of Sounding Rockets and Their Contribution to European
Space Research by Günther Seibert - 2006 The Signal Corps: the Outcome par G.R. Thompson et D.R.
Harris - 1966 Radiosondages sur le Carimaré par R. Bureau et A.
Perlat dans L'aéronautique d'avril 1938 La Liaison aérienne de l'Atlantique Nord dans "Le
Matin" du 13/08/1937 Réglement général des radiocommunications
- Révision du Caire 1938 - IUT